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L'EVOLUTION HUMAINE
N'A PU SE FAIRE SANS LA TRANSE !
La transe chamanique serait-elle à l’origine de certaines grandes découvertes de l’humanité ? L’idée paraissait proprement inconcevable du point de vue scientifique, il y a une génération de cela. Et pourtant, elle est devenue en quelques années un enjeu d’importance remettant en question notre paradigme moderne hyper-rationaliste : l’art, l’agriculture, l’écriture, la production du bronze ou d’objets aussi complexes qu’une sarbacane sont-ils apparus à l’esprit humain lors d’une extase de nature spirituelle ou par absorption de plantes psychotropes ? Tous les paléontologues sont aujourd’hui d’accord pour dire que l’hominisation a commencé en Afrique il y a cinq millions d’années. Or tout se bouscule dans les derniers 50.000 ans, soit à peine durant un centième de ce processus. A ce moment précis, l’homme prend conscience de certaines limites de son existence. Pour dompter la mort, il va développer quantité de rituels visant à accompagner les défunts dans l’autre monde et ainsi tenter de s’approprier l’éternité. De ce phénomène exceptionnel dans l’histoire de la vie sur Terre, naissent de manière concomitante l’art et la religiosité, d’inspiration chamanique fort probablement. Certains auteurs se sont penchés récemment sur cette question avec un regard novateur. Parce qu’ils avaient osé s’immerger dans le monde des esprits dont parlent volontiers les chamans, ils en étaient sortis transformés. Pour eux, suite à des expériences personnelles et subjectives, il devenait urgent de reconsidérer la transe chamanique, cette sorte d’état second que l’on nomme aussi état modifié de conscience, comme un élément central dans le développement humain. Ce serait dans cet état de conscience si particulier, lorsque l’homme se lie avec le monde invisible au-delà de ses cinq sens quotidiens, qu’il recevrait des messages de « l’univers bouillonnant » à l’origine d’inventions décisives pour l’humanité. Cette hypothèse selon laquelle toute grande innovation est issue d’une transe ou d’une extase permettant de recevoir une information-clé en provenance de l’extérieur, a de quoi choquer notre conception occidentale du monde. Elle est pourtant partagée par tous les peuples chamaniques et s’est maintenue bien vivante jusqu’à nos jours… Gordon Wasson dans Road of Eleusis (1978) fut le premier à suggérer que les champignons psychotropes ont peut-être joué un rôle déterminant dans l’apparition d’une conscience spirituelle et religieuse. Mais c’est surtout Terrence Mc Kenna dans La nourriture des Dieux (1992) qui en déduira une théorie osée : l’hominisation, c'est-à-dire l’augmentation du volume cérébral et l’acquisition du langage, n’a pu se faire que par l’incorporation répétée de composés psychotropes dans l’alimentation de certains singes. Son objectif est clair, il cherche à revaloriser la transe lorsqu’il écrit notamment : « L’espèce humaine ne perçoit pas l’extase comme un simple plaisir, mais comme une sensation incroyablement intense et complexe, chevillée à notre nature intime et à notre réalité, à nos langages et aux représentations que nous avons de nous-mêmes ». Jeremy Narby dans Le Serpent cosmique (1995) reprend en partie ces idées, même si son cheval de bataille est plutôt centré sur l’étude des processus de cognition des chamans amazoniens : les visions réitératives de serpents enlacés pourraient être des informations génétiques décodées intuitivement dans les chamans. Bien que son hypothèse n’ait pas convaincu le monde scientifique, il aura grandement marqué les esprits en valorisant, lui-aussi, le rôle déterminant de la transe dans l’acquisition des savoirs. Voilà qu’enfin on ne cherchait plus à expliquer l’accumulation des connaissances selon l’unique modèle cartésien occidental, mais qu’on se permettait d’envisager d’autres formes de rationalisation ou d’organisation du savoir développées depuis la nuit des temps par d’autres cultures. L’entreprise de déconstruction pouvait continuer… David Lewis-Williams et Jean Clottes avec Les chamans de la préhistoire (1996) ont eux aussi bousculé l’establishment. S’inspirant des peintures bushmen dont la continuité dépasse les 10.000 ans jusqu’à nos jours, ils ont avancé que l’art pariétal (de – 35.000 à – 15.000 ans) ne pouvait résulter que de la transe chamanique. Bien au delà de l’aspect esthétique, nos ancêtres cherchaient à communiquer avec les mondes souterrains en figeant leurs visions sur la fine membrane qui les en séparait. Plus surprenant encore, la représentation en deux dimensions n’est pas du tout spontanée chez l’homme, mais une opération mentale hautement complexe et acquise culturellement. L’art et bon nombre des autres techniques de la vie courante se seraient donc développés durant la préhistoire pendant près de 20.000 ans avec un étonnant dynamisme grâce à la pratique assidue de la transe. Enfin, l’apparition de l’agriculture est un autre sujet très controversé, car la Mésopotamie n’est plus aujourd’hui considérée comme son seul foyer d’origine. Comment expliquer dans ces conditions l’émergence de l’agriculture en même temps à différents endroits de la planète ? Les chamans nous proposent une autre lecture, loin de la mécanique contrainte d’un hypothétique changement climatique. Pour eux, les plantes sont des « personnes douées de conscience », elles parlent aux hommes lorsqu’ils sont en état de transe et ceux-ci les écoutent… Yuval Noah Harari dans Sapiens, une brève histoire de l'humanité (2012) en vient au même constat, lorsqu'il soutient que le blé a domestiqué l'homme : "Considérez un instant la révolution agricole du point de vue du blé. Voici dix mille ans, le blé n’était qu’une herbe sauvage, parmi tant d’autres, cantonnée dans une petite partie du Moyen-Orient. À peine quelques petits millénaires plus tard, le voici qui poussait dans le monde entier. [...] Le blé y parvint en manipulant Homo sapiens à son avantage. [...] Comment le blé a-t-il convaincu l’Homo sapiens d’abandonner une assez bonne vie pour une existence plus misérable ? " Dans notre société actuelle rongée par les drogues chimiques et obnubilée par la chasse aux dérives sectaires, ce genre de remise en question de l’histoire n’est pas la bienvenue. Car la transe a mauvaise presse tout particulièrement en France. Quelqu’un qui a des visions – et des hallucinations ! – se gardera d’en parler de peur qu’on ne le prenne pour un… malade. C’est oublier que cet état neurophysiologique si méconnu a été de tous temps et en tous lieux attesté, utilisé, voire encouragé, de sorte que les mystiques et les visionnaires faisaient l’objet de considération et de respect… © Jean-Patrick Costa |
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